Commenté en France le 25 mai 2017
J'ai persisté dans ma lecture par curiosité seule : premier et deuxième tomes m'avaient déjà déçue, cependant j'éprouvais encore de la sympathie pour les personnages. Après l'intrigue bancale d'AGOS, le surplace des personnages pour des chapitres entiers et le dédain affiché pour la gente féminine, que pouvait-il arriver de pire ? ...bien des choses, hélas. Ma lecture n'étant plus toute fraîche (il a fallu m'en remettre), les exemples précis manqueront un peu.
L'auteur semble avoir catalogué tous les défauts des précédents tomes afin de les amplifier. Les chapitres, raccourcis, ne sont souvent composés que de quelques paragraphes, soit à peine une ou deux pages : l'auteur évite coûte que coûte la description, expédie certaines scènes en quelques lignes, si elle ne les évince pas tout simplement. Un exemple parmi des dizaines d'autres : un certain personnage propose à Lila de le "rejoindre" - jamais leur relation, leurs points communs n'auront été développés. Ainsi sont évacuées et progression des personnages (je pense à Kell et son amnésie, résolue en une demi-page) et ambiance, au profit de punchlines. Le but n'est plus, en effet, de construire une scène mémorable par son style, son atmosphère, mais de terminer sur la Bonne Phrase À Suspense. Parfois, c'est l'action même qui est coupée nette, l'auteur ne reprenant qu'après coup.
À cela s'ajoute un recyclage pénible de certaines tournures - "something was wrong", "he felt in his gut" et autres pressentiments - qui vous enjoignent à rester attentifs : si, si, quelque chose d'important va se produire. Jamais les personnages ne sont vraiment surpris, leur instinct les alerte de la fourberie d'un tiers, de la quiétude suspecte d'un lieu. C'en est épuisant, surtout lorsque l'auteur nous introduit un personnage avec pour unique trait ce don de prémonition. De même, Holland vit toujours la même interaction à travers le livre, à savoir être menacé de mort par les héros - Holland, étrangement, s'en sort toujours avec le bon mot qui pousse l'autre partie à la remise en question...
La narration reste dilapidée entre trente-six millions de personnages dont on a un peu rien à faire. Ils n'apportent pas grand-chose non plus, si ce n'est colmater le gruyère de l'intrigue. Ce problème de structure date du premier tome -- l'auteur semble convaincue qu'elle doit dévoiler prématurément les pensées et plans des antagonistes afin d'intéresser son lecteur, et comme elle refuse tout autant d'écrire des scènes complètes, de véritables conversations, intercaler un chapitre de trois pages du point de vue d'un personnage secondaire est son seul moyen de caractériser ledit personnage. Il a fallu attendre ce tome pour commencer à comprendre ce qui se tramait dans la tête des deux souverains : surprise ! ils ont tous deux droit à des chapitres consacrés, bien que marqués par un certain... traitement de faveur pour le roi. J'y reviendrai.
Tout comme dans AGOS, l'intrigue décidée par l'auteur tient en otages les personnages, les forçant à l'attente ou à la stupidité, si ce n'est les deux conjuguées. Son manque de perspective mène à la pure absurdité : assiégés, les personnages ne se concertent pourtant pas, vont à la rencontre du danger, résultant en leur mort - héroïque et idiote - ou l'obtention d'une belle brique de deuil ajoutée à l'édifice de leur passé tragique. Ceci ne concerne que les personnages masculins. J'y reviendrai.
Un coup de théâtre me reste notamment en travers de la gorge : sans m'étendre, il repose sur des subtilités politiques de Red London. La politique a été ignorée durant les trois tomes. Ce retournement de situation en devient insultant car inexplicable, indevinable. De plus - et surtout ! - il contredit la caractérisation d'un certain personnage féminin, qui fait les frais de ce retournement. "Contredire" paraît présomptueux et pourtant ce n'est la seule occasion où l'auteur semble "oublier" la personnalité des femmes... mais laissons ça, j'y reviendrai.
Je reste de marbre devant les antagonistes qui frôlent tous la caricature - un pseudo-dieu voulant régner sur le monde, une femme cupide, un frère bizarrement intolérant, des nobles ennuyés. Et si j'appréciais Holland, l'évident favoritisme dont il fait l'objet au cours de ce tome m'induit de l'aversion. Monsieur a droit à des flashbacks - police différente et élégants symboles de transition, s'il-vous-plaît - qui détaillent à l'envi son horrible, sa triste histoire emplie de trahisons et d'amitiés avortées. J'en ai la larme à l'oeil. Pire encore : par son jeu de punchlines, l'auteur transforme chaque confrontation entre Holland et les autres personnages en victoire morale du premier. Tous sont contraints à l'introspection. Lila, en particulier, qui a toutes les raisons de lui vouer une haine éternelle, mais qui, par un habile - ah ! - jeu de stupidité de la part de l'auteur, est gravement blessée afin que Holland puisse prouver qu'il est nuancé et sympathique. Je n'invente rien.
Passons au coeur du problème, celui qui transforme trois romans médiocres en une tirade nauséabonde : la misogynie assumée de l'auteur dans ce tome. Soyons clairs : ce tome est une boucherie. Une boucherie de corps féminins. Déjà, dans les tomes précédents, l'auteur hésitait, en introduisait peu, qu'elle balayait très vite, préférait se concentrer sur les hommes (et Lila, misogyne elle-même) : ici, elle en introduit des dizaines... pour les massacrer aussitôt. Le seul intérêt de la femme est d'attrister l'homme : une demi-douzaine de petites filles sont égorgées afin d'émouvoir un frère, un proche, un étranger même ; compagnes et amantes sont tuées ; les mères, toujours absentes ou en échec, meurent en saintes.
Schwab enchaîne stéréotype sur stéréotype, qu'elle ne déconstruit jamais : les femmes sont faibles, frivoles, entichées de leur propre servitude, piégées par leur corps féminin, obnubilée par leurs enfants, étrangères au pouvoir et à la guerre ; les femmes sont des mères (mortes donc) ou des vampires, poussées par la cupidité, le pouvoir. Je tairai leur nom pour ne rien dévoiler ; cependant, ce tome compte six cent pages, où une à une femmes et filles sont assassinées des manières les plus répugnantes et pour des raisons les plus superflues.
Les femmes, aussi, ne méritent pas qu'on prête attention à elle. Ainsi, dans un monde qui ne prêche pourtant pas le sexisme, les femmes n'existent pas : les personnages secondaires importants sont des hommes, les personnages à qui l'on attribue des chapitres sont des hommes, les personnages dont la psyché est développée sont des hommes, les figurants dans les foules sont des hommes. J'évoquais Maxim et Emira : l'un est décemment développé ; l'autre caractérisée uniquement par les larmes, l'échec, la peur, le tout tournant autour de la maternité. Emira, que j'apprécie beaucoup, n'existe que pour la caricature, n'ayant jamais eu de vie propre, de progression, n'étant que la mère terriblement inquiète, la mère pleurant, la mère faillant, et ce, à en croire l'auteur, pour plus de vingt-cinq ans. Emira révèle la vacuité du monde et des relations créées par l'auteur : reine et pourtant isolée, reine et pourtant sans pouvoir, sans loisir, sans autre pensée - sans autre vie - que son fils, épouse fidèle qui réconforte son mari mais qui n'est jamais écoutée en retour. Emira, malheureuse dans son mariage, glace le sang : le seul rôle accordé à une femme est celui, non reconnu, du sacrifice.
Lila qui ne survivait qu'en rejetant sa nature féminine, en devenant l'un des hommes ("I am not most girls" est une vraie réplique d'AGOS), n'est plus que l'ombre d'elle-même : la jeune femme ambitieuse, imprudente, puissante, démesurée s'est évanouie lorsque la romance a pointé son nez. Dans un tome où un être se prétend divin, où la tentation paraîtrait un thème essentiel, les démons et fantasmes de Lila se sont volatilisés.
L'ultime affrontement en dit long : le cadavre d'une femme, possédé, est mis en pièce pour le plus grand bien.
Pour conclure, A Conjuring Of Light est un livre pénible, où chaque bonne idée semble jetée à la poubelle au profit du convenu et de l'ellipse. De part le mépris dont l'auteur fait preuve envers les personnages féminins, je ne peux que recommander de passer son chemin. La série n'a que les jolies couvertures pour elle.