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Une délicieuse invitation dans les salons littéraires parisiens
Commenté en France le 26 février 2007
Quelle délicieuse invitation nous offre Léon Daudet, à l'accompagner dans les divers salons parisiens de la fin du 19° siècle. Nous y rencontrons Victor Hugo - le grand-père de son épouse, Emile Zola, Clémenceau, Maupassant, Wilde, Poincaré, Alphonse Daudet son père, Hérédia, Barbey d'Aurevilly, Leconte de Lisle et tant d'autres figures plus ou moins oubliées.Citant l'éditeur : "De 1880 à 1930, ce choix de Souvenirs du grand artificier de l'Action Française couvre un demi-siècle de vie artistique et politique : du naturalisme et de la décadence, avec un détour sur les routes sillonnées par la bande à Bonnot... (...) Proust jugeait ces Souvenirs 'prodigieux', pour donner, 'au-delà de la verve inouïe du récit et de la peinture, l'impression mystérieuse d'un âge d'or.' Les madeleines de Daudet sont explosives..."Les rencontres sont riches :- "La revue des Deux Mondes" : Brunetière, Emile Faguet, René Doumic, Melchior de Vogüé, le vicomte d'Avenel, Edouard Rod- Salon de Mme de Loynes : Copppée, Berthoulat, Lucien Guitry, Boni de Castellane, Costa de Beauregard, Bereny.- Arthur Meyer et "Le Gaulois" : Desmoulins, Mazereau, le comte Fleury, le papa Duquesnel- l'anarchie sentimentale : Barrès, Schwob, Wilde- Quelques types de l'entre-deux-guerres : Armand Gouzien, Gabriel Hanoteaux, Henri Lavedan, Forain et Caran d'Ache, Yturri, Boldini et Helleu, Lobre, James Tissot, Pierre de Nolhac- L'Académie Goncourt (dont il était membre)- Le restaurant Weber : Marcel Proust, Toulet et Curnonsky, Claude Debussy, Paul Mariéton, Louis de la Salle- etc.Léon Daudet est un fin portraitiste. En quelques lignes, il les tire et bien ! Pour ceux que Daudet n'aime pas (Zola, Aristide Briand notamment), le vitriol jaillit à profusion, avec justice et justesse, pour le plus grand plaisir du lecteur. Le tout sur fond de polémique et d'engagement du coeur. Beau livre.Exemples de portraits :- Emile Zola"(...) Deux traits frappaient ses auditeurs : son front vaste et non encore plissé, qu'il prêtait d'ailleurs généreusement à ses personnages, quand ceux-ci portaient quelque projet de génie, artistique, financier ou social, son front 'comme une tour'; et son nez de chien de chasse, légèrement bifide, qu'il tripotait sans trêve de son petit doigt boudiné. (...) Il zézayait en parlant, disait 'veuneffe' pour 'jeunesse', 'f'est une fove fingulière' pour 'c'est une chose singulière' (...) Il se plaisait au contraste des obscénités ou des fécalités qui remplissaient ses livres et de sa propre existence parfaitement tranquille alors et sans débordement. A l'entendre la chasteté était indispensable à qui veut plonger d'un coeur résolu dans l'égout social et en rapporter d'imposants échantillons. Dès ses débuts il avait déifié la Vérité, l'avait campée, la plume à la main, entre le dépotoir et la morgue et n'entendait pas qu'on le contredit là-dessus.(...) p.42-43- Armand Dayot, critique d'art et historien d'art français, fondateur de la revue "L'Art et les artistes""Armand Dayot est la nullité même. A un tel point que, son nom une fois prononcé et sa silhouette une fois évoquée, il devient difficile d'exprimer le vide, le néant de ce grand diable flasque, amer et brun. Frotté de diverses connaissances, en peinture, en littérature, en histoire, il est comme un redingote qui a pris la poussière d'un mur. Ce qu'il dit, ce qu'il écrit s'évapore instantanément. Il est impossible, encore qu'il soit bavard, de l'écouter et même de l'entendre.(...) C'est un zéro qui ne se multiplie pas. Vous croyez ce fauteuil vide. Vous vous asseyez. Quelqu'un jette un cri. C'est Dayot." (p.136)- Gabriel Hanoteaux, ancien député de l'Aisne, ancien ministre des Affaires Etrangères (1894-1898) qui combattit sans relâche la volonté de revanche contre l'Allemagne."Il est extrêmement timoré. 'C'est le lièvre de La Fontaine' disait mon père. Il ajoutait : 'L'ombre de ses oreilles l'épouvante.' Pour fuir l'apparence d'une responsabilité morale, je ne sais ce que Hanoteaux ne ferait pas. Cette fâcheuse tendance l'a incité à plaquer successivement ses amis politiques, à mesure que la faveur populaire ou d'assemblée les plaquait eux-mêmes. (...) Vous pouvez être certains que, dans une circonstance quelconque, Hanoteaux, amené à prendre une décision ou un parti, choisira toujours le moins noble, celui qui l'engage le moins, et cherchera en même temps l'échappatoire, le moyen prochain de se dédire. Il croit que c'est la diplomatie. Son originalité consiste à revêtir d'un langage ferme les formes les plus fuyantes : 'Je suis résolu à me tirer des flûtes... Ma volonté inébranlable est de ne pas en avoir... Obéissez ou je tremble...' Telles pourraient être ses devises. Nous l'avions défini : un professeur de lâchage. Une chaire, tenue par lui sur ce thème, serait assurément fréquentée." (p.137)- Georges, vicomte d'Avenel, historien et économiste français."D'Avenel se donne comme 'bien pensant' - pour employer l'horrible formule des conservateurs -, mais il flatte les puissants du jour et nul ne s'esclaffe comme lui aux plus séniles plaisanteries. Une fois qu'il m'avait agacé par uen grossière et niaise calomnie à l'endroit de quelqu'un que j'aime et respecte, je lui tins brièvement ce langage : 'Si jamais cette personne venait au pouvoir, monsieur d'Avenel, vous solliciteriez l'honneur de lui lécher les pieds.' Cette remarque divertit fort le noble vicomte (...)" - p 164Sans oublier le portrait élogieux de Marcel Proust, au restaurant Weber :"Vers sept heures et demie arrivait chez Weber un jeune homme pâle, aux yeux de biche, suçant et tripotant une moitié de sa moustache brune et tombante, entouré de lainages comme un bibelot chinois. Il demandait une grappe de raisins, un verre d'eau et déclarait qu'il venait de se lever, qu'il avait la grippe, qu'il s'allait recoucher, que le bruit lui faisait mal, jetait autour de lui des regards inquiets, puis moqueurs, en fin de compte éclatait d'un rire enchanté et restait. Bientôt sortaient de ses lèvres, proférées sur un ton hésitant et hâtif, des remarques d'une extraordinaire nouveauté et des aperçus d'une finesse diabolique. Ses images imprévues voletaient à la cime des choses et des gens, ainsi qu'une musique supérieure, comme on raconte du divin Shakespeare. Il tenait Mercutio et de Puck, suivant plusieurs pensées à la fois, agile à s'excuser d'être aimable, rongé de scrupules ironiques, naturellement complexe, frémissant et soyeux. C'était l'auteur de ce livre original, souvent ahurissant, plein de promesses : 'Du côté de chez Swann', c'était Marcel Proust. (...) -p.225Et enfin j'ai apprécié les hommages rendus aux grands professeurs de médecine que Daudet étudiant en médecine eut l'honneur de côtoyer : Charcot, Potain.Comme vous l'avez compris, ce livre mérite bien l'éloge que Proust lui a dressé.
Commenté en France le 26 février 2007
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